Même si nous habitons en banlieue parisienne, loin, très loin de la civilisation telle que définie par beaucoup de parisiens pur jus (mais avec un appartement qui fait trois fois la taille du leur pour le même prix), cela ne nous empêche pas de profiter de ce que la ville lumière peut offrir en termes de spectacles et de soirées théâtre.
En l’occurrence, Jarjar, bien au fait de mes goûts peut-être étranges, m’a emmenée hier soir voir un homme que j’adore faire son show sur la scène du Théâtre de l’Atelier. Voilà, c'est dit, j'adore Fabrice Luchini. J'aime sa verve, son cabotinage, son côté poussez-vous que je m'y mette, qu'il en fasse toujours des tonnes et qu'il se délecte de la langue française comme d'autres d'un bon vin, j'aime qu'il ait joué Beaumarchais l'insolent dans le film du même nom (que je vous recommande chaudement si vous ne l'avez vu) et qu'il soit capable de tenir une salle sans micro, sans accessoire, sans rien d'autre qu'une liste de textes et son talent. Nous avions été voir le Point sur Robert, sa dernière lecture, et nous étions tombés sur un bon jour, un jour où, en pleine forme, il nous avait tenu trois heures sans discontinuer. Un régal. Depuis, il faut absolument que je voie Perceval le Gallois, juste pour le principe.
Hier il lisait du Philippe Muray. Je dois reconnaître mon ignorance en la matière - je crois bien que je n'avais même jamais entendu le nom avant hier. Mais ce qui fait la force d'une lecture par Fabrice Luchini, c'est avant tout le choix des textes, et la force avec laquelle il les lit. Contrairement à ce que l'on pourrait attendre du personnage, il sait s'effacer devant l'auteur qu'il veut mettre à l'honneur et ne fait que très peu de commentaires en marge du texte lui-même. Il faut dire que les textes de Muray ne nécessitent pas qu'on en rajoute ; et sa vision des politiques en tant que "professionnels de l'évènementiel" (je trouve cette expression sublime), son questionnement sur l'innovation et sur la possibilité d'appréhender un réel "encore inconnu", son envolée presque lyrique sur "le sourire de Ségolène" (que je ne regarderai plus jamais de la même façon), ses affirmations sur la pensée magistrale "qui ne se débat pas, mais s'assène", tout cela se suffit largement à lui-même.
On adhère ou on n'adhère pas - ce n'est pas la question, et comme dit Luchini, à la rigueur on s'en fout. Néanmoins, à travers cette lecture, on est mis en face de certaines contradictions de notre société, certaines absurdités dont on ne peut finalement que rire. Le talent de Fabrice Luchini, c'est de lire ces textes, de les vivre, de nous les faire vivre. C'est de savoir les alterner avec d'autres plus légers (ou plus déprimants comme il le dit lui-même). C'est de pouvoir, de nulle part, tirer une anecdote qui, sans briser le charme, offre un répit bienvenu. C'est de nous sortir des horreurs et de se faire applaudir pour sa peine.
Deux heures plus tard, quand il s'en va, on se dit "déjà ?". Il avait l'air étonné que sa lecture ait autant de succès - des dates supplémentaires ont dû être mises en place, le théâtre n'est pas assez grand pour faire face à tous ceux qui voulaient venir le voir.
Je ne suis pas étonnée.
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