Ah, les catalogues de jouets qui sortent à Noël, et qui font tant rêver les enfants devant leurs jouets chamarrés !
Eh bien, quand on rouvre un de ces catalogues une fois adulte, c’est la douche froide. Je sais bien que je ne suis pas la première (et probablement pas la dernière) à faire ce genre de constatation et d’analyse, mais visiblement il faut encore insister pour que le message passe.
Je m’intéresse ici au catalogue d’une grande enseigne spécialisée dans le jouet, que je ne citerai pas pour éviter de leur faire de la pub, mais le concept est valable à peu près pour tout le monde de toute façon.
Au début, ça va. Ce sont les jouets pour tous petits, les couleurs sont vives et bariolées pour intéresser les enfants. On notera juste la page des doudous. Là, on a trois choix : le bleu pour les garçons, le rose pour les filles, et au milieu la version orange pour les parents (chiants) qui refusent de se conformer à un code couleur.
Et puis, c’est le drame. Les pages deviennent roses, les jouets aussi, c’est l’agression. Le thème ? Des bébés qui font pipi et caca et pleurent pour de vrai. Des poupées barbies « fashionistas jet set » (encore plus maigres que les barbies normales). Des déguisements de princesse et aussi de princesse. Sinon y a des robes de princesse. Du maquillage. Et, bien entendu, le fer à repasser en plastique rose fuchsia. L’aspirateur, la cuisinière, le chariot à ménage assorti. Le stand de la marchande, mais aussi le caddie pour apprendre à faire les courses comme maman. Les petites filles sur les photos sont ravies, elles ont de larges sourires. Tu as compris ? Tu seras Princesse ou Boniche, plus tard. Apprends ta place, et apprends-la tôt.
Changement de couleur. Le fond devient bleu. Vous l’aurez compris, ce sont les pages « garçons ». Première page, des poupons. Des poupons sur fond bleu, me direz-vous ? Mais voilà qui est progressiste ! Mais non, car ce sont des poupons pour jouer au docteur, des bébés malades avec tout l’attirail pour les soigner. Quand le fond était rose, les accessoires étaient des couches et des biberons. Maintenant, ce sont stéthoscopes et seringues qui accompagnent les bébés. On ne torche plus les morpions ; on les soigne. Et ensuite, on rentre dans le vif du sujet. Des camions, des circuits de voiture, des armes, le tout hyper réaliste là où l’univers « fille » était rond et stylisé. Les déguisements ? Policier, astronaute, super-héro, pompier, chevalier en armure (pour aller sauver la gourde dans sa robe de princesse), pirate, cow-boy, indien, Darth Vader… Des rôles actifs, et surtout des rôles variés, du choix.
Et pour finir ? Une double page avec des voitures électriques. Celle-là, elle m’a tuée. Sur trois pages, 8 modèles avec des enfants au volant. Sur ces 8 modèles, 7 sont réalistes, et ils sont tous conduits par des petits garçons (dans 2 cas avec une fille à la place du passager). Le 8ème est rond et violet avec des rétroviseurs rose fuchsia, et celui-ci est bien entendu conduit par une petite fille.
Alors attention. Je suis une femme, j’aime le rose, je me maquille et je me fais les ongles. Je ne dis pas qu’il ne faut pas se pomponner ou que les petites filles devraient être privées de barbies pour la cause féministe. Mais ce qui me dérange dans ce genre de catalogue, c’est la notion de choix. Les petits garçons sont encouragés à varier les expériences et à avoir des rôles actifs et qui les amènent à l’extérieur ; on leur propose des jouets qui les poussent à rêver et à se projeter dans une vie d’adulte pour le moins enrichissante (astronaute par exemple). En revanche, on propose aux petites filles de se faire belles, de se déguiser en princesse, et de rester à l’intérieur pour s’occuper des gosses, de la bouffe et du ménage. Et c’est tout.
Si elles avaient plus d’options, je ne râlerai pas autant. Mais là, la différence est flagrante, et ça me dérange profondément. Et qui a eu l’idée saugrenue qu’un fer à repasser ou qu’un aspirateur pouvait devenir un jouet ?! Là on est carrément dans le surréaliste (avertissement sans frais : celui qui offre ce genre de truc à ma fille, si j’en ai une un jour, se le prendra à travers la gueule).
Pour moi, le féminisme c’est la possibilité pour une femme de choisir ce qu’elle veut pour sa vie. Mais avec ce genre de formatage, dès la plus tendre enfance, ce choix est forcément biaisé, aussi bien pour la femme elle-même que pour la compréhension de ce choix par les hommes qui l’entourent. Si on inculque à nos jeunes générations, et de manière aussi insidieuse, ces constructions mentales (qui conduit la voiture, par exemple), on pourra faire toutes les lois sur l’égalité homme / femme qu’on voudra, mais le résultat restera limité. Parce que quelque part, une femme qui dit « mon mari m’aide beaucoup pour les tâches ménagères », c’est qu’elle s’en est quand même attribué la responsabilité. Or, dans un couple où les deux travaillent, je ne vois aucune raison pour laquelle la femme devrait être « responsable » des travaux ménagers et l’homme une « aide » qu’elle devrait diriger.
Faire des choix, c’est important. Pouvoir les faire librement, sans être prisonnière de « le rose c’est pour les filles et le bleu pour les garçons », ça l’est encore plus. Mais franchement, ça ne paraît pas gagné.